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Profil de citoyens de Sainte-Mélanie

Note : Les Mélaniens et Mélaniennes sont présentés ici de façon graduelle dans le temps.
Les entrevues sont donc cumulatives.

 

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Citoyens de Sainte-Mélanie déjà présentés

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Léon Rivard,
artiste peintre

 

 

Jovette Bernier, auteure

Entrevue réalisée par Monique Leclair Belleudy (M.L.B.), membre du Comité Jumelage(s) de Sainte-Mélanie (en octobre 2007)

Jovette Bernier est née à Sayabec en Gaspésie en 1938 mais elle n’y a pas vécu tellement de temps puisqu’elle a étudié les Beaux-arts à l’école des Beaux-arts de Montréal et qu’aujourd’hui elle vit à Sainte-Mélanie l’été dans sa maison du huitième rang depuis 1965  et l’hiver à Montréal où le climat est moins rigoureux. Elle a également étudié à l’UQAM et y a obtenu  un baccalauréat en Histoire de l’Art.  Au cours de sa carrière, elle a contribué à des revues culturelles, notamment pour la revue « Musées » publiée par la Société des Musées Québécois . Elle a aussi collaboré à la revue : Le bon à tirer, publiée par le Conseil de la gravure du Québec. Elle a également  travaillé comme guide professionnelle au Musée Château Dufresne d’arts décoratifs; aujourd’hui ce musée est intégré au Musée des Beaux-arts de Montréal. Elle a  fait de la traduction française de poésie polonaise.

M.L.B. :
Jovette, lors de notre toute première rencontre qui a eu lieu récemment, j’ai ressenti comme une force  fragile en vous; c’est-à-dire que vous me paraissiez une personne discrète et réservée, voire timide  mais  j’ai découvert aussi  quelqu’un de déterminé et fonceur, l’auteure Jovette Bernier, qui  publie à son compte un premier recueil de poèmes à l’automne de sa vie, recueil que vous avez également illustré et qui s’intitule L’Écho des mots. J’ai lu votre poésie avec beaucoup d’intérêt. Je l’ai  trouvée animée et  vivante; s’y côtoient en harmonie le visuel et le sonore. Bref il y a dans vos poèmes de la perspective, des courbes, de la couleur et des sons et tout cela est orchestré par une écriture d’une pureté subtile et délicate.

En 2006, vous avez participé aux ateliers de poésie du Camp Félix avec Michel Pleau ce qui peut-être aura été le tremplin pour publier un premier recueil de poèmes , n’est-ce pas ? Pourquoi avoir choisi la poésie comme medium d’expression plutôt que la peinture ?

Jovette Bernier :
Au sujet de l’atelier de Michel Pleau, je veux préciser que j’avais déjà en mains un manuscrit volumineux. L’atelier m’a permis pour la première fois de ma vie de rencontrer et de travailler côte à côte avec d’autres poètes. Michel  était l’âme inspiratrice et le mentor de l’atelier et de plus un lecteur généreux et respectueux. Pour votre deuxième question, je n’ai pas rejeté la peinture pour la poésie. . J’ai toujours mené les deux de front, selon les circonstances de ma vie. L’art est une vision du monde, indépendamment du medium choisi. Évidemment, la maîtrise technique exige parfois un engagement exclusif; c’est le cas en musique. Mais c’est parfois le contraire : pensons à Robert Lalonde qui écrit, joue au théâtre et peint et pour qui l’un nourrit l’autre; c’est je crois affaire de tempérament et de disponibilité.

Enfant, je dessinais mais mon entourage familial n’encourageait pas la pensée libre dans l’écriture, sauf les devoirs d’école; les livres étaient censurés par les religieuses. C’était vers la fin de la grande noirceur. A vingt ans, je fréquentais le Musée et je prenais des cours du soir à l’école des Beaux-arts, coin Sherbrooke et Saint-Urbain. Je lisais à la bibliothèque des Beaux-arts les poètes, Sartre, les « vrais » livres ! J’écrivais déjà de la poésie. Et puis, j’ai dû gagner ma vie. Mais ça c’est une autre histoire.

Une partie de votre question concerne la publication de ce livre :  j’y rêvais depuis longtemps et c’est une rencontre très heureuse qui m’a mise sur la voie de la réalisation concrète; le rêve est alors devenu un projet, avec des dates de tombée. J’ai repris mes vieux poèmes pour les retravailler; j’ai fait ma recherche pour trouver les ressources, éditeurs, aide en informatique, rencontres avec des écrivains. Après des démarches inutiles auprès de maisons d’édition, j’ai décidé de publier ce livre à compte d’auteur. J’y ai incorporé quelques-uns de mes dessins.


"Géraniums au vase jaune", gouache, œuvre de Jovette

M.L.B. :
Parlez-moi de votre enfance; vous êtes née en Gaspésie à Sayabec en 1938. A cette époque, est-ce que la culture était valorisée dans votre milieu familial, scolaire ?  Le goût de faire de la poésie vous est venu à quel âge Jovette ? Étiez-vous une personne plutôt réservée ou plutôt fonceuse ?  Vos parents, votre famille vous ont-ils encouragée à développer votre talent pour les arts ?

Jovette Bernier :
À cause du chômage, ma famille est venue de la Gaspésie à Montréal en 1942.  En ville, la culture et les valeurs étaient différentes et les changements sociaux de l’époque effrayaient mes parents : urbanisation, laïcisation, le diable quoi !  Par contre, grâce aux enseignantes religieuses, nous étions initiés au dessin, à la musique, au théâtre. Elles ont détecté mes dons artistiques et en ont informé ma mère qui ne savait pas trop si elle devait s’en réjouir ou s’inquiéter. Dans le monde rural, les valeurs étaient claires : religion, travail, sens pratique. Mes amitiés aux Beaux-arts ne faisaient que refléter le changement culturel global. Mais nous n’étions pas riches et n’appartenions pas aux classes sociales qui avaient les moyens de payer des études universitaires à leurs enfants. Maman était comme les femmes de la Gaspésie, entreprenante, douée pour le commerce, légitimement ambitieuse mais elle était limitée par l’insécurité financière et elle n’a pas pu imaginer que les études étaient la solution d’avenir pour moi. Dans les années cinquante, le Québec s’est ouvert au monde, surtout la France et les États-Unis par la télévision et l’immigration d’Europe francophone; c’était la révolution tranquille. En 1960, j’ai rencontré un de ces immigrants instruits et émancipés, Mirek Zdanowicz, mon conjoint d’origine polonaise. Il m’a encouragé aux études. Dans son entourage, il y avait un groupe de belges, français, suisses et polonais  qu’il avait côtoyés à l’université. Cette rencontre avec Mirek a été pour moi une sorte de libération, une seconde naissance en quelque sorte et le début de l’apprentissage à l’émancipation, à la multiculture.

M.L.B. :
Au début de votre recueil, vous faites une sorte de préface que vous intitulez « Petite pédagogie de la poésie »  où vous dépeignez la poésie comme un langage particulier qui sert à exprimer l’indicible, une sorte de langue universelle qui transcende les époques et l’expérience personnelle.

Qu’est-ce qui est indicible ? Par exemple, dans « Écrire », vous comparez la mémoire à un fil et vous dites qu’écrire c’est tirer sur ce fil. Quand vous écrivez, est-ce que vous faites toujours appel à votre mémoire ? Est-ce que votre poésie est quelquefois  spontanée ?

Jovette Bernier :
Ce qui est indicible, ce sont nos perceptions très intimes auxquelles on ne prend pas souvent la peine d’être attentifs. On n’y croit pas, on n’ose pas se les permettre ni même les reconnaître. Ce qu’on ne dit pas dans les conversations de la vie quotidienne, utilitaire. Ce qu’on ne dit pas dans les écrits savants tels que les essais. Dans beaucoup de bons romans, la poésie pointe l’oreille mais c’est l’intrigue qui domine.

Je ne fais pas consciemment appel à ma mémoire mais elle intervient. Des études en psychologie ont démontré que la mémoire est directement reliée aux émotions. Mémoire des poètes qui m’ont précédée, que j’ai lus; des images, sensations, odeurs emmagasinées. C’est très complexe. C’est le mystère de la création; il faut le préserver sinon on la détruit.

M.L.B. :
Dans vos poèmes, il n’y a à peu près pas de signes de ponctuation, à part des virgules, lorsque c’est indispensable mais rarement d’autres signes et jamais de point final;  pourquoi ?

Jovette Bernier :
C’est un choix artistique. Parce que la poésie est un langage à part du langage utilitaire et raisonné, même si elle utilise les mêmes mots. Comme me l’a fait réaliser le poète Michel Pleau, on est dans l’évocation (Ici, je fais un clin d’œil à Robert Lalonde qui refuse l’évocation dans son dernier livre.). L’évocation au-delà de l’immédiat, de l’individuel. Pas de morale ni de références personnelles. En enlevant la ponctuation, on rejette la syntaxe officielle; on la remplace par un rythme qui est une respiration, une musique.

M.L.B. :
Comment un poème de Jovette Bernier prend vie ? Avez-vous un lieu que vous aimez en particulier, une heure à laquelle vous aimez « tirer sur le fil », pour employer votre expression ?

Jovette Bernier :
Non. Dans l’ici et maintenant (mon petit côté bouddhiste!), je détecte une émotion, une sensation, une idée. Je focus mon attention d’une certaine façon et la réaction chimique se produit entre ma perception et le bagage accumulé dans ma mémoire littéraire et visuelle; les mots apparaissent. Pour que cette réaction se produise, il faut se laisser envahir par une émotion, la laisser nous habiter, s’abandonner à l’instant présent.

M.L.B. :
Avez-vous d’autres poèmes sur le feu  pour nous ou d’autres projets d’écriture tel un roman par exemple ? Est-il plus difficile de publier de la poésie que d’autres formes d’écriture ?

Jovette Bernier :
J’aime bien l’expression « poèmes sur le feu » ! Seriez-vous poète ?

D’autres livres, oui, l’Écho des mots – Tome II , mais pas de roman. C’est une forme qui ne m’attire pas. Peut-être des nouvelles. Et aussi quelque chose d’un peu fou, inspiré par le patinage artistique (danse) que je pratique. Ma vision de ce sport. Rien à voir avec les règlements ou les statistiques. Je serai la première surprise du résultat. Mais cela ne pourra se faire qu’avec le soutien financier d’un éditeur.

La poésie, faute d’initiation, ne se lit pas autant que le roman et le livre.  De plus elle doit concurrencer les médias grand-public. Par contre, grâce aux services commerciaux d’infographie, l’auteur peut apporter son manuscrit sur support informatique et le faire polycopier et le relier lui-même. C’est ce qu’on appelle l’autoédition.  Il lui reste à faire les démarches légales pour enregistrer son livre, les droits d’auteur et, bien sûr, la diffusion et la vente.

L’autoédition est une solution moins coûteuse que d’avoir recours à un éditeur officiel.

Cependant, pour obtenir une présentation très soignée, sur mesure, rien ne remplace un spécialiste. J’ai eu recours à l’édition à compte d’auteur pour cette raison et aussi pour ne plus attendre la caution d’un comité de lecture surchargé de manuscrits et sous-équipé en ressources humaines, Chez MFR Éditeur, j’ai eu une reconnaissance, des conseillers, des correcteurs, une présentation très soignée. Merci à MFR.

M.L.B. :
Jovette, je sais que bientôt vous quitterez  cette belle maison de Sainte-Mélanie laquelle , je crois vous était  chère. Est-ce que quitter cette maison signifie que vous quitterez aussi Sainte-Mélanie ? Est-ce que vous repartez en Gaspésie?

Jovette Bernier :
Je quitte à regret cette belle maison : elle a eu deux vies : celle, centenaire, des pionniers du huitième rang et celle datant de 1980, rattachée à la « maison-mère » par les soins de mon ingénieur de mari avec la collaboration d’une épouse artiste et d’un fils designer. Ce fut un très beau projet familial. J’espère trouver une location ici pour quelques années encore. Ma première appartenance est en Gaspésie où je suis née mais j’ai maintenant de solides racines à Sainte-Mélanie. Lors de mes études en histoire de l’art, j’ai réalisé une recherche sur la Seigneurie d’Alleboust, ses derniers habitants du régime seigneurial, son architecture et le contexte social de l’époque. Depuis notre arrivée ici, mon mari et moi avons milité pour la protection de l’environnement dans le cadre d’associations comme l’actuelle Association des pays d’en haut.  J’estime énormément les pionniers qui ont fondé ce village et leur descendants. Sainte-Mélanie, tout en gardant fièrement son visage agricole, prospère et montre une belle capacité à intégrer les changements sociaux et économiques inévitables.

Cependant, la vie culturelle demeure un parent pauvre à Sainte-Mélanie.  La municipalité, au village et dans la campagne, regorge d’amateurs de musique, d’artisans et artistes, de lecteurs.  Ce qui manque, c’est un lieu de rencontre où convergeraient ceux qui désirent partager et échanger. Il pourrait prendre la forme d’un marché public pour les produits locaux, fruits et légumes, les confitures, sirop d’érable, etc;  des produits des artisans et artistes, des événements, lectures publiques, musique traditionnelle.  Je l’imagine ayant lieu à un intervalle de deux fois par mois. Pour avoir un toit pendant nos hivers rigoureux, ce marché pourrait se tenir dans l’ancien manoir qui fait de Sainte-Mélanie un village pas comme les autres. Mais il faut que ça se sache, et que les élus municipaux consentent à mettre en valeur, dans la simplicité, cette maison patrimoniale, où se rencontraient autrefois chez les seigneurs de lieu de grands personnages.  À ce sujet on peut lire la recherche de Jovette Bernier.

M.L.B. :
Merci Jovette Bernier pour cet entretien qui fut passionnant; ce fut pour moi le début d’une amitié. Merci aussi de la part de vos lecteurs  pour ce  très beau recueil de poésie que vous nous offrez.

Huitième rang

sinueuse la courbe du vent
marée de son
je marche comme un indien
paillis forêt ancienne
petits brûlés
s’entrecroisent les traces fuyantes
pelages plumes
une bougie
de novembre
soleil
brille le pin

Regard d’eau

et que ton regard d’eau
me trouve
et me repousse
que je m’y noie encore
et que pour mon rivage
j’échoue sur ton épaule
que je m’y brûle encore
enfin, pour mon naufrage
ta main
est douce je m’y coule
encore

Pour vous procurer L’Écho des mots :
Jovette Bernier : courriel jovette.bernier@sympatico.ca

Chez MFR Éditeur Librairie Martin à Joliette

Photos : Monique Leclair Belleudy

 

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